Un
demi-siècle après sa création, la Communauté économique des États de l’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) traverse une crise existentielle. Pensée comme un outil
d’intégration régionale, de solidarité entre États et de coopération
économique, elle semble aujourd’hui à bout de souffle, fragilisée par des
remises en cause internes et des ruptures politiques majeures. Le retrait du
Mali, du Burkina Faso et du Niger – réunis désormais au sein de l’Alliance des
États du Sahel (AES) – marque un tournant. Ce désengagement ne constitue pas
seulement une crise institutionnelle : il révèle un divorce plus profond entre
l’organisation et les peuples qu’elle prétend représenter.
Une
organisation perçue comme éloignée des citoyens
La CEDEAO s’est longtemps construite sur un modèle
intergouvernemental, où les décisions majeures sont négociées entre chefs
d’État et ministres, souvent sans relais au sein des populations. En dépit des
textes fondateurs évoquant l’intégration des peuples, la réalité est que peu de
citoyens ouest-africains connaissent les politiques communautaires, encore
moins leurs droits ou obligations au sein de cet espace régional. L’absence de
référendum populaire sur les grandes orientations communautaires,
l’insuffisance des campagnes de sensibilisation, et l’inexistence de mécanismes
solides d’implication citoyenne ont contribué à faire de la CEDEAO un appareil
technocratique perçu comme distant, voire illégitime.
Dans ce contexte, les sentiments identitaires
prennent le pas sur l’idéal d’appartenance régionale. Dans nombre d’États
membres, les fractures internes – ethniques, linguistiques, religieuses ou
patronymiques – affaiblissent déjà le sentiment d’unité nationale. Il est donc
illusoire d’imaginer une intégration régionale forte, lorsque la cohésion
sociale est en crise à l’échelle même des États. À cela s’ajoute un paradoxe
structurel : la CEDEAO est censée promouvoir la libre circulation, la
citoyenneté régionale et l’harmonisation des politiques publiques, mais ses
décisions peinent à trouver une transposition effective et sans encombre dans
les comportements et les pratiques observés.
Repenser
la représentativité et la légitimité
Pour redonner souffle et crédibilité à la CEDEAO,
une refonte de ses mécanismes de représentativité s’impose. La première urgence
est celle de la démocratisation interne de l’organisation. Il ne s’agit pas
simplement d’avoir un parlement communautaire symbolique, mais de conférer un
pouvoir réel à une Assemblée représentative composée d’élus au suffrage
universel direct ou au moins issus des Assemblées nationales des États membres.
Ces derniers doivent être mandatés pour porter les voix des peuples sur les grandes
questions régionales : sécurité, économie, mobilité, environnement, etc.
Une telle réforme nécessite aussi que les parlements
nationaux soient systématiquement impliqués dans le processus d’adoption des
normes communautaires. La CEDEAO ne peut plus se contenter d'accords signés
entre exécutifs : une appropriation populaire et institutionnelle des
politiques régionales est la condition sine qua non de leur efficacité.
L’harmonisation juridique ne doit plus être perçue comme une imposition venue
de l’extérieur, mais comme une dynamique interne, construite collectivement.
Vers
une pédagogie de l’intégration
Au-delà des institutions, il faut repenser la
manière dont l’intégration régionale est enseignée, expliquée, vécue. Les
populations ne peuvent adhérer à un projet qu’elles ne comprennent pas. Il est
donc essentiel d’investir dans une véritable pédagogie de la CEDEAO, dès
l’école, dans les médias, dans les espaces publics. Promouvoir une identité
régionale ne signifie pas effacer les appartenances nationales ou culturelles,
mais les transcender autour de valeurs partagées : solidarité, paix, mobilité,
progrès.
Les médias communautaires, les programmes d’échange
scolaire et universitaire, les mobilités culturelles et professionnelles
doivent être encouragés. Une CEDEAO des peuples se bâtira aussi dans les
imaginaires, dans les expériences vécues, dans les histoires partagées entre
citoyens de la sous-région.
Une
gouvernance plus inclusive et équilibrée
Enfin, l’organisation devra repenser son mode de
gouvernance pour mieux refléter les aspirations des États membres et corriger
les déséquilibres perçus. La défiance actuelle n’est pas seulement le fait de
ruptures politiques internes : elle est nourrie par une perception d’asymétrie
dans les relations entre États, notamment entre pays francophones et
anglophones, entre puissances économiques régionales et États enclavés ou
fragiles.
Une CEDEAO renouvelée devra instaurer une
gouvernance fondée sur l’équité, l’écoute et la coresponsabilité. Cela suppose
de revoir les critères de contribution, les modalités de prise de décision, et
de garantir que chaque État, quelle que soit sa taille ou sa puissance, y
trouve une place respectée.
Pour
une CEDEAO des peuples et non des seuls États
L’heure est venue pour la CEDEAO d’opérer une mue
profonde. Le projet d’intégration ne pourra prospérer sans les peuples. Il doit
s’incarner dans des institutions représentatives, des politiques inclusives et
une gouvernance rééquilibrée. Faute de quoi, le désamour actuel pourrait se muer
en désintégration, laissant la région orpheline d’un cadre commun à l’heure où
les défis – sécuritaires, climatiques, économiques – exigent plus que jamais
des réponses collectives. Refonder la CEDEAO, c’est croire encore au potentiel
d’une Afrique de l’Ouest solidaire, forte de ses diversités, unie par un destin
commun.
Par MEMOUAR D.
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