Entre mythe populaire et réalités historiques, la conscience politique africaine cherche sa voix… et sa voie._
À chaque élection présidentielle en Afrique francophone, une même question revient avec insistance dans les rues, les salons, les émissions radio et les réseaux sociaux : « Qui est le choix de la France ? » C’est devenu presque une tradition. Avant même que les bulletins ne soient imprimés, certains électeurs, parfois résignés, croient déjà connaître l’issue du scrutin.
Dans l’imaginaire populaire, l’ombre de l’ancien colonisateur semble planer encore et toujours sur les urnes. Pour beaucoup, un candidat sans réseau à Paris, à Bruxelles ou à Washington n’a tout simplement aucune chance. Pourtant, les chefs d’État eux-mêmes s’en défendent vigoureusement. Aucun ne reconnaît publiquement avoir été choisi ou imposé. Alors, d’où vient ce sentiment si profondément enraciné ? Est-ce juste un réflexe hérité du passé, ou bien le reflet d’une réalité plus subtile ?
Une vieille histoire qui colle à la peau
Ce soupçon d’ingérence ne vient pas de nulle part. Il est nourri par des décennies de rapports ambigus entre les puissances occidentales et les dirigeants africains. Après les indépendances, beaucoup de présidents dits pères de la nation ont entretenu des liens étroits avec l’ancienne métropole. On se souvient d’Houphouët-Boigny, de Senghor, de Bongo... À l’époque, ces relations rassuraient. Elles garantissaient une stabilité politique et des aides économiques.
Mais avec le temps, ce pacte tacite est devenu suspect. Trop de présidents ont été maintenus au pouvoir malgré des scrutins contestés. Trop de contrats ont été signés au bénéfice d’entreprises étrangères, souvent françaises. Trop de silences diplomatiques ont couvert des répressions internes. Alors, le doute s’est installé : et si le peuple ne décidait pas vraiment ?
Quand le soupçon tue l’espoir
Cette idée que l’Occident, et surtout la France, tire les ficelles des élections africaines a un coût. Elle érode lentement mais sûrement la confiance des citoyens. Si tout est déjà décidé ailleurs, pourquoi voter ? Pourquoi s’engager ? Pourquoi croire que la démocratie peut fonctionner ici comme ailleurs ?
Cette fatalité finit par affaiblir la conscience politique. Beaucoup finissent par penser que leur voix ne compte pas, que leur sort se joue dans des ambassades et non dans les isoloirs. Le peuple devient spectateur d’un théâtre dont il ne comprend pas toujours les coulisses.
Réalité ou exagération ?
Bien sûr, il serait injuste de réduire tous les scrutins africains à des manœuvres d’ambassades. Des alternances réelles ont eu lieu, des opposants ont triomphé, des peuples ont imposé leur choix par la détermination et le courage. L’Afrique n’est pas figée. Elle bouge, elle s’indigne, elle rêve, elle vote. Mais il reste des zones grises. Oui, des pressions étrangères existent. Oui, des candidats sont parfois mieux vus que d’autres par certaines chancelleries. Et oui, des deals économiques peuvent peser plus lourd que les bulletins de vote. Il ne s’agit pas de nier l’autonomie des États africains, mais d’admettre que cette autonomie est encore trop fragile.
L’Afrique est prête à écrire sa propre histoire
La bonne nouvelle, c’est que les choses changent. Lentement, mais sûrement. La jeunesse africaine est connectée, éduquée, curieuse. Elle ne se laisse plus convaincre aussi facilement. Elle interroge, elle dénonce, elle manifeste. Dans plusieurs pays, des mouvements citoyens ont réussi à faire tomber des régimes ou à empêcher des tripatouillages constitutionnels.
La conscience politique africaine est en train de naître. Elle n’a pas encore tout son poids, mais elle prend de la voix. Elle ne veut plus qu’on parle à sa place, ni depuis Paris, ni depuis un palais présidentiel. Elle veut parler pour elle-même, choisir ses dirigeants, réclamer des comptes, et refuser qu’on la berne avec de faux débats sur les relations extérieures.
Et maintenant
Le plus grand défi n’est pas seulement d’élire un président. C’est d’élire un président légitime dans le cœur de son peuple, et non dans les salons de la diplomatie étrangère. C’est d’ancrer la démocratie dans les esprits et les pratiques. C’est de faire en sorte que plus jamais un jeune africain ne dise : « De toutes façons, c’est la France qui décide. ». Car tant que cette phrase existera, l’Afrique ne sera pas tout à fait libre. La liberté politique commence là où finit la peur d’être manipulé.
Ce mythe de l’homme choisi par Paris est peut-être né d’une époque révolue, mais il vit encore parce que la transparence électorale reste fragile. Tant que les élections seront entachées de soupçons, tant que la parole du peuple semblera secondaire, le mythe continuera de prospérer. Mais l’heure est venue de le déconstruire. Non par rejet systématique de l’Occident, mais par amour pour la démocratie, la souveraineté, et la dignité africaine.
Par MEMOUAR D.
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