La nouvelle politique
économique américaine bouleverse la géopolitique mondiale. Les marchés
financiers sont anxieux et l'Union européenne comme la Chine cherchent des
solutions. Le Mexique – deuxième importateur aux États-Unis après la
Chine – se réjouit discrètement. Car ce pays frontalier du géant
américain pourrait profiter des bouleversements en cours...
Donald
Trump l'avait promis lors de sa campagne : il a en effet annoncé des
hausses très lourdes des taxes douanières tous azimuts… Wall Street
s'affole, la Chine montre les dents et l'Union européenne cherche des solutions
entre des membres qui n'ont pas les mêmes intérêts. Ce « Liberation
Day » claironné par Washington a donc jeté la sidération à travers le
monde – tout particulièrement dans les pays qui vendent leurs
produits aux États-Unis. Le voisin mexicain a été visé par Donald Trump à de
nombreuses reprises – accusé de laisser-faire le long de l'immense
frontière qui les sépare. Or, le gouvernement mexicain affiche sa satisfaction (voir l'article en
lien). Car le Mexique et le Canada, liés aux États-Unis par l'Accord
Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) depuis 2020 (qui faisait suite à l'ALENA) ont
été largement épargnés par l'offensive de Trump qui annonçait une hausse
moyenne des taxes à l'importation de 2% à 29%.
Les exportations mexicaines échappent donc à cette
lourde augmentation. Sauf quelques secteurs importants – non
couverts par l'ACEUM – comme
l'acier et l'automobile qui restent ciblés avec une taxe de 25%. Mais le
gouvernement mexicain discute à bâtons rompus avec la Maison-Blanche pour
obtenir un geste sur ces marchés – en affichant sa confiance dont il
pourra arracher un accord. Pour
Marcelo Ebrard, le ministre de l'Économie et ancien ministre des Affaires
étrangères, son pays est le grand gagnant de ce bouleversement global. Le
marché américain est en effet – et de loin – le plus riche
du monde. Déjà avantagé par sa position géographique et sa main-d'œuvre assez
bon marché et abondante, la montée en puissance d'une jeunesse de plus en plus
diplômée, le Mexique voit son avantage compétitif fortement creusé par
l'offensive commerciale de Donald Trump. « Des 14 accords de libre-échange
américains, seul l'ACEUM est épargné », s'est félicité Marcelo Ebrard qui
brandit la situation actuelle comme une victoire politique pour la présidente
Claudia Sheinbaum. Le couple Sheinbaum-Trump est un attelage étonnant : la présidente élue en
2024 s'affiche comme une radicale de gauche et elle a fait montre d'une réelle
habileté en refusant un affrontement perdu d'avance sous la pression constante
du très puissant voisin.
Elle
a d'abord assuré Donald Trump que son pays ne répondrait pas à la taxe de 25%
imposée sur l'acier et les produits automobiles – malgré les
pressions politiques dans son pays. Elle a surtout compris
l'importance, pour l'administration américaine, du problème de la frontière qui
combine l'immigration illégale massive sur le sol américain et le trafic de
drogue. Le Fentanyl (voir LSDJ 2438) est au centre du jeu. Or Sheinbaum a envoyé
10 000 militaires à la frontière et a extradé 29 chefs de cartels
pour être poursuivis par la justice américaine. Elle a aussi
déclaré – en lançant son « Plan Mexico » – que le
Mexique importerait moins de produits chinois (les ingrédients pour fabriquer
le Fentanyl viennent de Chine) tout en facilitant les investissements dans les
industries vouées à l'exportation. Cette bonne volonté a convaincu Donald Trump de
protéger son voisin,
car le Mexique a un autre
avantage déterminant. C'est le deuxième importateur aux États-Unis après la
Chine, la cible première de Donald Trump. Le Mexique bénéficie déjà
d'investissements croissants de la part de multinationales qui cherchent depuis
la période Covid à moins dépendre du géant chinois. Cette tendance devrait
s'accélérer fortement, car les Européens et les Asiatiques ne peuvent pas
trouver d'alternatives au richissime marché américain : le Mexique est
plus que jamais une base de production stratégique.
Le Mexique pourrait donc profiter des nouvelles règles du jeu économique
mondial – dictées par son tempétueux voisin. D'autant
plus que de grands projets confirment les ambitions de ce pays tampon entre les
deux Amériques – l'Anglo-Saxonne au Nord et la Latine au Sud. Le
corridor interocéanique de l'isthme de Tehuantepec (CIIT) vient concurrencer le
canal de Panama. Cette liaison
ferroviaire traversant le pays du Pacifique à l'Atlantique – à son
niveau le plus étroit – a été inaugurée en grande pompe le 4 avril
dernier. Le premier chargement : 900 véhicules de la marque
Hyundai en provenance de Corée du Sud et à destination des États-Unis… Les
observateurs voient dans cette mise en service un excellent complément au canal
de Panama constamment embouteillé et affecté par des sécheresses régulières.
C'est
le retour d'un vieux rêve datant de 1907 quand Porfirio Díaz, le président
mexicain, avait lancé la première liaison ferroviaire pour joindre les deux
océans. Un
rêve de courte durée puisque l'ouverture du canal de Panama en 1914 a précipité
son déclin. Une complainte mexicaine dit : « Trop loin de Dieu, trop
près des Américains ». La nouvelle politique américaine est en train de
replacer le Mexique – sinon plus près de Dieu – au moins au
centre du commerce mondial…
Par Ludovic Lavaucelle.
Synthèse n°2450, Publiée le 14/04/2025
Source : LSDJ
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