Haïti sombre dans le chaos. Famine, exode massif,
violences sexuelles : l'île est livrée à la terreur des gangs. À l'origine de
cette descente aux enfers : deux siècles de dettes et d'inégalités, une
corruption endémique, et un État défaillant.
La semaine du 16 mars a
vu une recrudescence des violences à Haïti. Trois médias ont
été pillés puis incendiés par les gangs pour tenter de taire ce qui se passe
sur place. Ceux-ci sont nombreux sur l'île : ils constituent entre 200 et
300 groupements criminels et contrôlent désormais la majorité du pays. La
situation des civils est catastrophique. On comptabilise 5600 meurtres en 2024, soit un millier de plus que
l'année d'avant. En février 2025, 24 000 personnes ont été forcées d'abandonner leur foyer
pour fuir, venant s'ajouter aux centaines de milliers déjà déplacées.
Selon l'ONU, 50% de la population a besoin d'une aide urgente en
raison d'une insécurité alimentaire aiguë, notamment au sud de l'île, où c'est l'ensemble d'entre elle qui a passé plusieurs jours sans
s'alimenter. La violence, y compris la violence sexuelle envers
les femmes et les enfants, est au cœur des rapports entre les citoyens. Par
peur, les enfants ne vont plus à l'école, les populations émigrent et la
corruption et les enlèvements sont devenus monnaie courante. Mais quelles sont
les causes du chaos haïtien ?
Les origines de la crise qui secoue Haïti remontent à 1804, année où la colonie
française s'émancipe du giron napoléonien. Première république noire
indépendante, la « perle des Antilles » se heurte cependant d'emblée
à deux écueils qui vont devenir des handicaps structurels : une
société inégalitaire et un endettement sans fin. Une société inégalitaire, car
la nouvelle élite haïtienne se compose non pas d'anciens esclaves, mais de
chefs révolutionnaires et de mulâtres. Ce nouvel ordre reproduit le modèle de
l'esclavage et maintient l'exploitation aux dépens du développement, favorisant
le népotisme et les intérêts individuels. Un endettement sans fin, car la
France, en quittant les lieux, impose des emprunts à Haïti auprès des banques
françaises. Les États-Unis, à partir de l'occupation de l'île en 1915,
imposeront également de nombreux emprunts, ce qui créera à long terme une
spirale d'endettement.
Mais
le décuplement de la violence est plus récent. Celle-ci s'est déchaînée depuis
l'assassinat en juillet 2021 du président Jovenel Moïse. Le délitement étatique a permis aux gangs de proliférer. Ils
avaient d'ailleurs eu tout le loisir de s'organiser auparavant, car ils font
office de protection privée pour les individus les plus fortunés, mais ont
également été embauchés par le gouvernement lui-même en 2018 pour étouffer les
manifestations. La première milice avait été créée à des fins privées par le
président dictateur Duvalier dès 1950, puis reprise par son fils qui lui a
succédé en la renommant « Volontaires de la sécurité nationale ».
Aujourd'hui, 80% de la capitale Port-au-Prince est contrôlée par
les gangs, qui ont imposé suffisamment de pression sur le Premier ministre,
Ariel Henry, pour qu'il démissionne en mars 2024 (voir LSDJ n°2146). Depuis, les meurtres, kidnappings, demandes
de rançon et pillages sont monnaie courante. Les milliers d'assassinats
incluent des familles entières avec enfants et bébés, tuées chez elles ou sur les routes alors qu'elles tentent de
fuir vers le sud de l'île ou à l'étranger. L'économie est gangrenée par la
mainmise du crime organisé, l'agriculture qui la soutenait est à l'arrêt, et
les travailleurs les plus qualifiés fuient vers les États-Unis.
En 2023, face à la demande
pressante d'Haïti, le gouvernement kenyan a accepté d'envoyer des soldats
pour contrer la progression des gangs dans la capitale. L'ONU
soutenue par les États-Unis ayant ratifié l'accord, des milliers d'hommes ont
été déployés, n'échappant pas aux violences puisqu'en décembre dernier un officier kényan a trouvé la mort dans une rixe urbaine. La
mission pilotée par le Kenya a été renouvelée par les Nations unies en
septembre 2024 et devrait donc s'étendre encore sur plusieurs mois. Confrontée
à un manque de financements et à des retards de paiement des soldats, l'ONU envisage désormais de
prendre en charge les coûts logistiques et structurels de l'opération,
selon une proposition du Secrétaire général Antonio Guterres.
Source : LSDJ
Par Hugues de Jarcy.
Synthèse n°2433, Publiée le 25/03/2025
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