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Afrique de l’Ouest : que reste-t-il si les régimes militaires échouent ? Entre promesses sécuritaires, rupture démocratique et incertitudes stratégiques



Afrique de l’Ouest : que reste-t-il si les régimes militaires échouent ? Entre promesses sécuritaires, rupture démocratique et incertitudes stratégiques Afrique de l’Ouest : que reste-t-il si les régimes militaires échouent ? Entre promesses sécuritaires, rupture démocratique et incertitudes stratégiques

Depuis 2021, une nouvelle ère politique s’est ouverte dans le Sahel central. Les prises de pouvoir par les juntes militaires au Mali, au Burkina Faso, puis au Niger, ont mis fin à des régimes civils élus, accusés d’inefficacité dans la lutte contre le terrorisme et de compromission avec des puissances étrangères. Ces changements de régime, largement soutenus dans l’opinion publique nationale au moment des transitions, ont été justifiés par un objectif majeur : restaurer la sécurité et la souveraineté des États. Trois ans plus tard, les promesses sont-elles tenues ? Et surtout, que se passera-t-il si ces régimes échouent, à leur tour, à rétablir la paix et la stabilité ?

Des promesses fortes dans un contexte d’urgence

Dès leur prise de pouvoir, les autorités militaires de l’AES ont mis en avant la nécessité de « rompre avec le système ». Une rhétorique de refondation a accompagné leurs discours : rupture avec l’ordre constitutionnel « inefficace », rejet de la CEDEAO, dénonciation des ingérences extérieures, notamment françaises, et mise en avant de partenariats alternatifs (Russie, Turquie, etc.).

Un seul message passe : seuls des régimes forts, affranchis des contraintes politiques classiques, peuvent conduire efficacement la guerre contre les groupes armés terroristes. Dans un contexte où les populations étaient épuisées par l’insécurité et les échecs répétés des gouvernements précédents, ce discours a trouvé un écho favorable. Les juntes sont apparues comme une réponse à une crise, voire comme une dernière chance.

Une situation sécuritaire encore précaire

Plusieurs mois après leur installation, les régimes militaires de l’AES ont annoncé des résultats, parfois impressionnants, dans la reconquête de territoires et la neutralisation de combattants terroristes. Toutefois, ces chiffres sont difficiles à vérifier de manière indépendante. Sur le terrain, les groupes armés restent actifs dans plusieurs régions clés, les violences contre les civils persistent, et certaines zones restent totalement hors du contrôle de l’État.

Par ailleurs, l’isolement diplomatique et les sanctions économiques imposées après les coups d’État ont fragilisé davantage les économies locales, déjà vulnérables. Les transitions politiques, censées être temporaires, peinent à tracer un horizon clair de retour à l’ordre constitutionnel.

Et si ces régimes échouaient ?

L’échec des régimes militaires poserait une question fondamentale : que reste-t-il comme alternative ?

Ces régimes se sont imposés comme des solutions face à l’échec de l’ordre démocratique, mais s’ils venaient eux aussi à échouer – en matière sécuritaire, économique, ou institutionnelle –, le risque serait celui d’un vide politique dangereux. Trois scénarios peuvent être envisagés :

•        Le retour du désespoir démocratique : si la population perçoit les militaires comme aussi inefficaces que les précédents gouvernements, cela pourrait accentuer la défiance envers toute forme d’autorité, politique comme militaire. Cela ouvrirait la voie à une fragmentation accrue de l’État, voire à l’effondrement institutionnel.

•        La radicalisation politique : face à une impasse, certains groupes pourraient être tentés par une fuite en avant idéologique, entraînant davantage de répression, une militarisation de la vie politique, et la fermeture de tout espace de dialogue.

•        L’émergence de nouveaux acteurs hybrides : l’échec des régimes actuels pourrait créer un appel d’air pour d’autres types d’acteurs – communautaires, religieux, paramilitaires – susceptibles de combler le vide laissé par les structures étatiques, avec tous les risques que cela comporte pour la cohésion sociale.

Que faut-il espérer de ces pouvoirs ?

Il faut attendre d’eux des résultats tangibles, mesurables, et partagés : amélioration de la sécurité des populations, services publics minimums dans les zones rurales, perspectives claires pour un retour à un ordre constitutionnel stable. La lutte contre le terrorisme ne peut justifier indéfiniment la suspension des libertés et des institutions. Ces régimes peuvent réussir s’ils savent associer autorité et responsabilité, fermeté et inclusion. Mais leur durabilité dépendra aussi de leur capacité à convaincre, et pas seulement à contraindre.

Anticiper l’après

L’Afrique de l’Ouest ne peut plus se permettre une succession d’expériences politiques fondées sur l’exception et l’urgence. Si les régimes de l’AES réussissent, ce succès devra être institutionnalisé pour éviter que la solution ne devienne un nouveau problème. Mais s’ils échouent, il faudra tirer toutes les leçons de ce cycle : le retour à des systèmes démocratiques ne pourra se faire sans une réforme profonde de leur gouvernance, une meilleure répartition des ressources, et une plus grande prise en compte des attentes des populations rurales et marginalisées.

La grande question, au fond, reste celle-ci : quelle architecture politique durable pour un espace sahélien exposé aux conflits, aux fragilités économiques et aux fractures sociales ? À cette question, aucun régime – militaire ou civil – ne pourra répondre seul.

Par MEMOUAR D.

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